Décoration

En 1885, Pierre Ketels quitte son atelier parisien et revient s’installer à Roubaix, il se spécialise alors dans les portraits et la décoration. Il a probablement exécuté des commandes privées pour des hôtels particuliers et des grandes propriétés, mais pas de commandes publiques connues. Ses commanditaires seraient les riches industriels, les grandes familles bourgeoises.
Subsiste-t-il encore aujourd’hui des lieux décorés par Pierre Ketels ? Ces fresques ont-elles été dégradées, détruites, ou préservées ? À ce stade des recherches, de nombreuses questions restent encore en suspens.

Projet de décoration :
Cette étude sur papier calque a été composée pour orner un plafond.

Chaque matin la déesse de l’Aurore ouvre les portes du jour. Ici elle s’élance sur Pégase, son cheval ailé, brandissant son flambeau.
Ce thème a déjà inspiré de nombreux artistes pour la création de décors de plafonds, notamment Charles Le Brun en 1663, Charles Louis Müller et Eugène Delacroix en 1850 pour la Galerie d’Apollon. Pierre Ketels a pu observer ces oeuvres lorsqu’il se rendait au Louvre. Le décor de la galerie d’Apollon, initialement commandité par Louis XIV (le Roi-Soleil) a été imaginé sur le thème du soleil et de la course de l’astre dans l’espace et le temps. Apollon, dieu du soleil et de l’harmonie, est une des grandes figures de l’inspiration artistique en occident.
Cette interprétation de Pierre Ketels était peut-être accompagnée d’autres compositions illustrant le cours du jour, de l’aube à la nuit.
On peut voir dans cette composition une allégorie du combat du Bien et du Mal, du triomphe de la lumière sur les ténèbres, la vie et la mort. La structure du tableau illustre l’antagonisme entre le ciel et la terre : la partie supérieure du tableau se base sur une diagonale dynamique qui élève la déesse vers le ciel, tandis que la partie basse crée une ligne ascendante qui accentue la chute des forces obscures. Dans les cieux, un ange répand sur terre la rosée du matin, représentée par des roses, un second apporte une couronne de roses, un troisième porte une lyre, symbole de la chanson et de la poésie. Cet instrument de musique était populaire dans les civilisations antiques, les Grecs voyaient dans la musique un lien entre l’homme et les dieux. Ci-dessous une autre étude de composition pour les anges :

Dans la partie inférieure, les oiseaux noirs s’opposent aux blanches colombes. Dans certains tableaux sur le même thème, des chauve-souris sont représentées pour illustrer la nuit. On devine en bas à gauche un serpent monstrueux, la gueule ouverte.

Ci-dessus, mise au carreau de l’oeuvre. Cette technique est utilisée pour préparer la réalisation de la peinture en grand format, elle facilite le respect des proportions en décomposant les formes et les tracés en petites sections.
Sur cette ébauche, le personnage central a les cheveux courts et son buste est clairement masculin : ce ne serait donc pas Aurore, mais Apollon, sorti victorieux de son combat à Delphes contre le gigantesque serpent Python… effectivement, la lyre est souvent associée à Apollon, la Victoire le récompense d’une couronne de laurier, la torche rappelle sa fonction de dieu du Soleil, et l’ange qui répand la rosée a quant à lui disparu. Toutefois, l’arc et les flèches qui ont transpercées le python ne sont pas représentés.
Qu’il s’agisse d’Aurore, annonçant la naissance du jour, ou d’Apollon, dieu de la clarté solaire, cette oeuvre pourrait symboliser la victoire de la lumière solaire, le triomphe de la lumière de la conscience sur les émotions subconscientes, représentées par le serpent, monstre cauchemardesque sortant des profondeurs.

Femme alanguie :
Projet de décoration, étude sur papier calque.

Ci-dessus, peut-être une nymphe endormie, une bacchante, ou une déesse. S’agit-il de Nyx, déesse de la nuit, ou encore une Hespéride, nymphe du soir ? Cette posture classique d’une femme alanguie peut aussi évoquer la naissance de Vénus, tableau d’Alexandre Cabanel peint en 1863. Est-elle entourée de vagues, de nuages, ou de drapés ? Quelques traits laissent suggérer qu’elle serait enlacée par un homme ou un ange : et si c’était Morphée, le fils du sommeil et de la nuit, qui endort les mortels et les plonge dans un doux sommeil… Cette esquisse pourrait représenter “la nuit” et être rattachée à la composition précédente représentant “le jour”. Toutes ces pistes ne sont pour l’instant que des hypothèses.

Projet de décor de plafond :

Ci-dessus, étude sur papier calque représentant une déesse sur un lit de nuages, Cupidon, des colombes et un paon. J’ai d’abord pensé qu’il pouvait s’agir de Vénus, déesse de la Beauté et de l’Amour, et de son fils Cupidon. Mais le Paon est souvent associé à la déesse Héra, reine du ciel et de l’Olympe dans la mythologie grecque (elle porte le nom de Junon dans la mythologie romaine). Elle est la protectrice des femmes et déesse du mariage. Selon les cultures et les époques, le paon symbolise l’immortalité, la beauté, la fécondité ou l’orgueil.

Les Vertus théologales

esquisse de Pierre Ketels sur papier calque

Cette esquisse pourrait représenter une madone entourée d’enfants, à l’instar de ce tableau d’Andrea del Sarto, peintre italien de la Haute Renaissance, représentant une vierge à l’enfant et saint Jean-Baptiste :

  

esquisse de Pierre Ketels et Vierge à l’enfant d’Andrea del Sarto

Mais l’ensemble des symboles et personnages présents sur cette esquisse pourraient plutôt correspondre à une allégorie de la Charité.
Selon la morale chrétienne, il existe deux types de vertus : les vertus théologales et les vertus cardinales. Les vertus théologales sont données par Dieu, les vertus cardinales sont d’ordre humain, l’individu devant trouver en lui-même la force d’accomplir son devoir.
Les 3 vertus théologales sont la Foi, l’Espérance et la Charité. La Charité est la plus importante des vertus théologales, qui se confond avec l’Amour (l’amour de l’Homme pour Dieu, l’amour de Dieu pour l’Homme, l’amour de l’Homme pour son prochain).
L’allégorie de la charité ci-dessous, peinte par Raphaël, est l’un des trois panneaux d’une prédelle en grisaille représentant les vertus théologales.

La Charité – Raphaël – 1507

Une femme allaite deux des enfants qui l’entourent, un putto tient un vase d’où partent des flammes (celles qui habitent toute personne embrasée de charité, parfois symbolisée par un coeur enflammé), un autre renverse un vase rempli de pièces de monnaies.
Sur le dessin de Pierre Ketels, on retrouve ces trois attributs : au pied de l’ange de gauche le vase enflammé, au centre la mère nourricière, à droite l’ange qui distribue les pièces.
Cette esquisse d’une allégorie de la Charité était donc peut-être complétée par les allégories de la Foi et de l’Éspérance.

Allégorie

L’esquisse suivante pourrait représenter l’une des Vertus cardinales, et donc venir compléter le thème précédent des Vertus théologales. Les Vertus cardinales sont issues de l’Antiquité grecque, elles sont souvent représentées par des personnages féminins : la Prudence, la Tempérance, la Force et la Justice.

Esquisse de Pierre Ketels sur papier calque.

Ici, il peut s’agir de l’allégorie de la Force, représentée par une femme portant un casque (élément défensif) et une épée (souvent associée à la justice) : elle est armée pour le combat et la résistance face aux épreuves, résistance au mal, aux tentations, aux persécutions. Elle symbolise le courage et la force d’âme. À ses pieds peut-être des branches de chêne, l’arbre le plus résistant dans la nature, ou des rameaux d’olivier, symbole de paix. Le lion est là également pour évoquer la Force, étant considéré comme le plus fort des animaux : dans la mythologie grecque, le premier des travaux d’Hercule consiste à ramener la dépouille du lion de Némée.
Une femme ailée embouchant une trompette survole la composition, c’est la Renommée, à l’origine une divinité grecque. Elle semble tenir au-dessus de la tête une palme (palme des martyrs ou palme de la victoire ?).

Esquisse de Pierre Ketels – mise au carreau.

Malgré tout, cette interprétation n’est pas totalement convaincante. Et s’il s’agissait plutôt d’une allégorie de la souveraineté, la figure symbolique de la République française triomphante, la “mère-patrie”qui protège ses enfants. L’épée rappellerait le rôle tenu par la force militaire dans la constitution et les assises du pouvoir, l’autorité de l’état, l’idée que la liberté s’acquiert par les armes, “Si vis pacem, para bellum” (“Si tu veux la paix, prépare la guerre”). Drapée d’une longue robe tunique, Marianne est armée et casquée, comme l’Athéna grecque. La République est guerrière et protectrice, elle combat pour défendre ses valeurs, au premier rang desquelles la Liberté. Le coq, symbole national, est avantageusement remplacé par le lion, représentant la force morale et le courage du peuple. Cependant, pas de drapeau tricolore, pas de devise républicaine (Liberté-Égalité-Fraternité).
C’est finalement le déchiffrage du phylactère qui permet d’interpréter cette esquisse avec plus de précisions et de connaître le commanditaire de cette oeuvre : “Société de Secours Mutuels”.

Études florales :
Les études à la gouache sur papier qui suivent seraient des modèles pour cartons de tapisseries. Trois étapes se succèdent de la conception à l’élaboration d’une tapisserie : le maquettiste crée la composition, le cartonnier agrandit la maquette à taille réelle, le lissier réalise la tapisserie.

La mise au carreau (ci-dessus) permettait d’agrandir la maquette pour réaliser le carton de tapisserie, c’est-à-dire son ébauche à grandeur d’exécution sur le métier. Le modèle à taille réelle était alors par la suite utilisé pour guider le lissier sous les fils de chaîne du métier pendant le tissage. Donc ce modèle est l’étape qui précède la réalisation du carton, qui était vraisemblablement détruit une fois la tapisserie réalisée. Voici une reconstitution de ce modèle de tapisserie dans son format intégral :

Ci-dessous d’autres maquettes et la simulation des modèles dans leur intégralité :

 

 

 

Ces maquettes sont dans le style des tapis “de Savonnerie”, ainsi appelés parce que la première manufacture du genre fut installée par la volonté de Louis XIII dans les locaux d’une ancienne savonnerie au pied de la colline de Chaillot, comme extension des tous premiers ateliers créés par Henri IV à l’intérieur même du Palais du Louvre.
Il peut s’agir de tapis de table, mais aussi de ciel de lit, comme le modèle (en noir et blanc) ci-dessous :

   

Ci-dessus, “ciel de lit en tapisserie de Beauvais”, et modèle de Pierre Ketels.

La reproduction en noir et blanc ci-dessus est un “ciel de lit en tapisserie de Beauvais, avec encadrement en bois sculpté et doré, époque de Louis XVI”, elle a été publiée dans le “Portefeuille des arts décoratifs” (vers 1890). La composition de ce ciel de lit est similaire à la construction du modèle de Pierre Ketels.


Voyages aux Pays-bas
:
Pierre Ketels se rend plusieurs fois aux Pays-Bas, à Hilversum en Novembre 1895 et Amsterdam en Avril 1896. Depuis 1874, Hilversum est reliée à Amsterdam par une ligne de chemin de fer, ce qui a ouvert la possibilité aux habitants aisés d’Amsterdam de s’y établir et d’y construire de grandes villas. Pierre Ketels a-t-il réalisé un projet de décoration pour l’une de ces villas ?
Après 1945, de nombreuses villas ont été démolies et les parcelles scindées, ce qui diminue les chances de retrouver d’éventuelles fresques. Comme la Villa “Palaboean” (photo prise avant 1895), remplacée en 1954 par des appartements du même nom :

  

Villa Palaboean (avant 1895), et résidence Palaboean (actuellement)


Aquarelle, projet de décoration intérieure dans le style mauresque :

Le dessin ci-dessus était conservé dans un catalogue appartenant à Constant Helynck (1862-1941), le beau-frère de l’artiste.
Ce projet de décoration en trompe-l’œil est de style oriental, il représente notamment une mosquée et son minaret dans la végétation. L’orientalisme,  mouvement marqué par la fascination de l’empire ottoman, était une tendance exotique en vogue au 19ème siècle.

Projets de décoration murale :
Les 2 dessins ci-dessous étaient également conservés dans le catalogue de Constant Helynck.

Projet de décoration murale, sur le thème de Bacchus :
Le Dionysos grec a été repris par les romains sous le nom de Bacchus, le culte de Bacchus est lié au vin et à la fertilité.
Ci-dessous décoration murale représentant des pampres de vignes :

Ci-dessous décoration sur le thème des bacchanales d’enfants. On appelle bacchanale, une peinture, ou des bas reliefs, où le culte de Bacchus est représenté, ce thème est souvent exploité dans l’histoire de l’Art depuis l’antiquité.

Il semble également y avoir une mosquée, au milieu dans le lointain, juste au-dessus des anges qui tirent la chèvre, ce qui donne à l’ensemble un esprit un peu éclectique.
Ci-dessous, quelques esquisses préparatoires à la réalisation de ce décor :

Ci-dessous, les putti trainent une chèvre, un animal lié au culte de Bacchus, quelquefois sacrifié, d’où sa présence très fréquente dans les scènes de bacchanales. Les chèvres sont avides de raisin et sont extrêmement nuisibles aux vignes, ce qui vaut bien un petit sacrifice de temps en temps. Cette esquisse est sûrement inspirée d’un tableau de François Boucher (1703-1770) :

Deux putti s’enlacent, virevoltent et semblent valser :

Des putti se chamaillent et transportent un tonneau de vin :

Il semble y avoir une colombe sur la couronne de raisins que se disputent trois putti :

Ci-dessous, terme représentant le Dieu Pan. Un terme est un ornement décoratif sculpté ou peint constitué d’un buste, avec ou sans bras, pris dans une gaine s’amincissant vers le bas. Dans la mythologie grecque, Pan est le dieu des bergers, des troupeaux et de la fécondité. Il est laid, il porte des cornes et des pieds de chèvre et est associé à la création de la flûte de pan. 

Voilà justement un putto qui joue de la flûte de Pan : 

Des putti font les vendanges (avec nonchalance) :

Des putti se chamaillent, l’un d’eux paraît ivre :

Encore des putti qui préparent le vin, ils mettent le raisin dans une cuve pour l’écraser :

Toujours des putti, l’un d’eux goûte le raisin, un autre brandit un pampre de vigne, à leurs pieds des offrandes de fruits :

Dans les bacchanales, on voit assez souvent des putti dans des chars tirés par deux animaux (lions, tigres, panthères, chèvres… ). Le Lion est l’image du courage que le vin inspire aux hommes et leur fait affronter les plus grands périls…

Un thème moins courant, la panthère de Bacchus défendant ses petits :

 

Frise décorative :
Un autre projet de décoration sur le thème de Bacchus, ou peut-être un exercice scolaire :

Dessin d’Ornement :
Encore un autre projet de décoration sur le thème de Bacchus, ou peut-être un exercice scolaire :

Projet de fresque :
Ci-dessous, esquisse réalisée pour une fresque, en utilisant la méthode du pochoir : le dessin est percé de petit trous, réalisés en suivant les traits à l’aide d’une molette (une roue dentée), et un chiffon contenant la poudre noire est légèrement passé en tamponnant sur le papier posé à même l’enduit, afin que le noir s’échappe du chiffon et traverse les petits trous.

Château Landon :
L’inscription “Château Landon” apparaît deux fois sur l’esquisse ci-dessous. Château-Landon est une cité médiévale située dans le département de Seine-et-Marne, en région Île-de-France.

Projet de décoration pour un plafond :

Autres projets de décorations :

 

Actuellement, je n’ai pas connaissance de lieux décorés par Pierre Ketels, j’espère un jour trouver des fresques qui ont subsisté aux affres du temps.

 

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