Histoire

Pierre Paul Ketels est né le 11 janvier 1853 à Gand en Flandre belge.

L’ancien port de Gand, le quai aux Herbes, sur la rive droite de la Lys.

Il est le fils de Jean Ketels (1819-1889), tisserand, né à Gand, et Maria-Theresia Franceus (1823-1888), ménagère, née à Sotteghem (à 30 km au sud de Gand).

    

Jean Ketels et Maria-Theresia Franceus, les parents de Pierre Ketels, en 1885.

Il a un grand-frère Denis Ketels (1847-1914), une petite soeur Rose Ketels (1855-1941), une demi-soeur Maria Coralia Franceus (née en 1841 de père inconnu), et 3 frères morts en bas âge. Au XIXe siècle, le taux de mortalité infantile était très élevé, en relation avec l’urbanisation croissante, la mauvaise alimentation et la prolifération des maladies infectieuses.

Pierre Ketels (9 ans), son frère Denis (15 ans) et sa soeur Rose (7 ans) en 1862 à Gand.

Gand est une ville médiévale qui regorge encore aujourd’hui de magnifiques bâtiments anciens, un château médiéval entouré de douves, une cathédrale, un beffroi, trois béguinages, des abbayes…

L’église St Nicolas, le beffroi et la cathédrale St Bavon à Gand.

Les racines de Pierre Ketels sont rattachées à cette grande cité depuis plusieurs générations, à l’instar de sa grand-mère paternelle, dentellière, née et décédée à Gand, et de ses arrière-grands-parents qui s’y sont mariés en 1789 dans la Cathédrale Saint-Bavon (à droite sur la photo ci-dessus).


Pièce de monnaie frappée en 1861.
Leopold Premier règne sur la Belgique entre 1831 et 1865, toutes les pièces sont émises en français (ni le néerlandais, ni l’allemand ne sont encore reconnus comme langue nationale).

L’industrie textile occupe une place majeure dans l’économie gantoise depuis le Moyen Âge. En 1860, Gand est en avance en matière d’industrialisation et possède un haut niveau de mécanisation. Les grandes manufactures de filage et de tissage remplacent peu à peu le travail à domicile et celui des petits ateliers. Mais les bas salaires, la hausse des prix, le chômage entraînent des soulèvements populaires.
Jean Ketels (le père de Pierre Ketels) est socialiste, les précurseurs de ce mouvement sont sévèrement condamnés. Il est interdit aux ouvriers de s’organiser, des grévistes sont emprisonnés pour avoir enfreint la loi sur les coalitions. Néanmoins cette interdiction est contournée, des fraternités de tisseurs s’organisent et fondent des syndicats, sous couvert de secours mutuel. Jean Ketels participe activement à la lutte ouvrière et à la création des “maisons du peuple”, lieux de rencontre des militants.
Tout au long du XIXe siècle, lors de chaque crise du textile à Gand, des milliers d’ouvriers partent vers Lille, Roubaix, et Tourcoing. C’est dans ce contexte que la famille de Pierre Ketels quitte progressivement Gand pour s’installer à Roubaix, il est alors âgé de 8 ans.

L’ancienne Mairie de Roubaix (construite en 1840, détruite en 1907).

Le père de Pierre Ketels s’expatrie le premier, en 1860, il travaille comme ouvrier tisserand dans une usine textile. À cette époque, la moitié des habitants de Roubaix est belge. Mais ce mouvement d’immigration qui fournit une main-d’oeuvre qualifiée et maniable n’est pas toujours bien accueilli, les ouvriers belges sont accusés de faire baisser les salaires et de priver les français de leur emploi.

Extrait d’un document administratif daté du 9 Octobre 1875.

Pierre Ketels rejoint son père en 1861, il a 8 ans. Ils logeront par la suite dans une maison cour Delfosse, rue Sainte Elisabeth, non loin de l’église du même nom. Mais la famille ne sera au complet que quelques années après.

L’église Sainte-Elisabeth, construite entre 1860 et 1863, selon les plans de l’architecte Théodore Lepers.

Face à l’afflux important de travailleurs, les courées permettent de loger un maximum d’ouvriers à proximité des usines, dans des maisons sombres et exiguës, souvent insalubres, favorisant la diffusion des maladies contagieuses. Pas d’eau courante, pas de raccordement aux égouts, peu de lumière et d’aérations, des latrines communes, une atmosphère polluée par l’activité usinière. Habitations et industries se concentrent dans un espace restreint. Sous le second empire, Roubaix double sa population, l’essor industriel est fulgurant.

Bénédiction des eaux de la Lys le 15 aout 1863 devant la mairie de Roubaix, tableau de Émile Defrenne.
(L’eau est une ressource capitale pour le développement de l’activité textile et notamment le fonctionnement des machines à vapeur, c’est ainsi que l’on capta les eaux de la rivière la Lys pour résoudre les problèmes d’approvisionnement).

En 1866, le choléra sévit à Roubaix, faisant des ravages dans les quartiers ouvriers. Les conditions de vie et de travail sont pénibles, l’approfondissement des écarts sociaux engendre des conflits. Les travailleurs fondent alors des organisations socialistes et des coopératives, conscients de la nécessité de s’organiser et de s’unir pour acquérir des avancées sociales élémentaires.
L’instruction primaire n’est pas encore obligatoire, les enfants des familles ouvrières passent directement du premier âge à celui de travailleur, obligés à mener une vie d’adulte avant l’âge (ce n’est qu’en 1874 que l’âge d’entrée des enfants dans les usines sera fixé à 12 ans, et en 1881 que la scolarité sera rendue obligatoire et gratuite jusqu’à 13 ans).
Le jeune Pierre Ketels n’a d’autre choix que de travailler, d’abord en tant que peintre en bâtiment, puis en équipages. Le métier de peintre en équipages consiste à décorer les panneaux de luxueuses voitures hippomobiles, cabriolets, landaus, fiacres, omnibus, et autres calèches. Du Second Empire jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale, l’industrie hippomobile est en pleine expansion, la possession d’un équipage est avant tout un signe manifeste de réussite sociale, c’est un moyen de paraître et d’être remarqué. Les voitures sortent de l’usine soit finies, soit en blanc ; ces dernières sont livrées à de petits ateliers qui les terminent, les peignent et les garnissent au gré des acheteurs. La mise en peinture, aux étapes longues et délicates, est une phase importante qui exige une fabrication soignée. Les ornements sont principalement des rayures sur les panneaux, faux balustres, losanges, chiffres héraldiques, armoiries, imitation des jalousies, faux cannages…

Extraits du journal “Le Mercure Universel” paru en 1860.

Mais Roubaix est aussi une terre de mécènes. De nombreux industriels ont utilisé l’art et la culture comme vecteur d’image et de communication pour valoriser leur activité, leur environnement ou leur rôle dans la société, ils ont ainsi participé à la construction d’édifices, écoles, hôpitaux, accompagné des artistes et valorisé le patrimoine culturel.
C’est ainsi que Pierre Ketels fera une rencontre providentielle. Alors qu’il s’applique à peindre des calèches, il se fait remarquer par son habileté. Le soutien d’une mécène lui permet alors de commencer ses études artistiques. Sa bienfaitrice décédera malheureusement peu après.
Âgé de 13 ans, il entre à l’École académique de Roubaix, dont les locaux se trouvent dans l’ancien Hôtel de Ville, rue Neuve (actuelle rue du Maréchal Foch). Il a pour professeur de dessin Celer Letombe (1819-1896) qui dirige les cours de dessin d’ornement, de figures et de la bosse, et pour professeur de peinture Constantin Joseph Mils (1817-1886).

Buste de Constantin Mils, sculpture de Gustave Crauk (1827-1905).

Ces deux professeurs formèrent de nombreux artistes qui firent carrière : Jean-Joseph Weerts (1846-1927), Gustave Krabansky (1852-1902), Remy Cogghe (1854-1935)… ce dernier a d’ailleurs fait figurer le professeur Letombe dans son tableau “Le Combat de Coq” peint en 1889.

   

ci-dessus, “Le Combat de Coq” de Remy Cogghe,
et “l’Assassinat de Marat” de Jean-Joseph Weerts.

Le 12 août 1867 a lieu la remise des prix aux élèves des Écoles académiques de Roubaix à l’Hôtel de ville, la cérémonie est présidée par le maire Constantin Descat.

Le maire de Roubaix, Constantin Descat (1812-1878), Chevalier de la Légion d’Honneur.

Pierre Ketels, alors âgé de 14 ans, est récompensé parmi d’autres élèves encore inconnus : Gustave Krabansky (15 ans), Henri Joseph Van Dyck (18 ans), Émile Bouzin (19 ans)… Un jeune élève de l’académie de musique, Victor Vaissier (16 ans), reçoit un prix dans la classe de tuba, il deviendra par la suite le célèbre savonnier, ingénieux et avant-gardiste.

Le fabuleux château de Victor Vaissier, construit en 1892 selon les plans de l’architecte roubaisien Edouard Dupire-Rozan (1842-1901).

L’année qui suit, en août 1868, Pierre Ketels reçoit le 3ème prix dans la section “Académie” et Gustave Krabansky le premier prix dans la section “Peinture d’après plâtre”. Le jeune élève Rémy Cogghe, agé de 13 ans, vient d’intégrer l’école de Roubaix et reçoit déjà le premier prix dans la section “têtes ombrées”. Quant à Victor Vaissier, il participe au concert précédant la cérémonie en tant que chanteur et reçoit également des prix dans les classes de solfège et tuba.

  

Étude d’allégorie de Gustave Krabansky – 1880 (Musée La Piscine de Roubaix).

Les dessins scolaires ci-dessous réalisés par Pierre Ketels sont probablement les portraits de ses camarades de classe, âgés tout comme lui d’une quinzaine d’années.

Portraits au fusain réalisés par Pierre Ketels (vers 1868).

Voici l’extrait d’un article de Marius Véran, rédacteur en chef du quotidien L’Avenir de Roubaix-Tourcoing, concernant l’académie de peinture de Constantin Joseph Mils :
“En 1863, M. Mils vint s’établir à Roubaix où il comptait déjà nombreux amis. Presque à son arrivée, il fut nommé professeur de dessin et, dans la même année, il créa à Roubaix, le cours de peinture qu’il dirigea presque jusqu’à sa mort. Ce fut le point de départ de la magnifique académie de peinture que nous possédons. Patient, persévérant, doué d’un sentiment artistique très prononcé, M. Mils groupa bientôt autour de lui toute une pléiade de jeunes gens désireux d’apprendre. Le cours de peinture devint célèbre. C’est de son sein que sont sortis : Jean-Joseph Weerts, Rémy Cogghe, Krabansky, Kétels et tant d’autres, qui sont arrivés à se faire une place des plus honorables dans les arts”.

  

Dessins scolaires au fusain sur papier d’après modèle vivant
et d’après une sculpture de Michel-Ange – Pierre Ketels.

Les moyens de l’Académie de peinture de Roubaix étaient rudimentaires, voici un témoignage de M. Harinkouck, membre du conseil municipal, concernant le professeur Mils : “Membre de la commission des Écoles académiques, combien de fois ne l’ai-je pas vu, moi-même, alors que la Ville ne lui accordait pas de modèles vivants, payer ces modèles de ses propres deniers ou de son travail, en faisant lui-même le portrait de la personne qui voulait bien poser pour ses élèves ! il lui fallu travailler de longues années dans ces locaux académiques si malsains, dans des conditions hygiéniques que tous les membres de la commission déplorent depuis longtemps sans pouvoir y remédier. M. Mils s’y est usé, desséché, sans jamais se plaindre. Pour lui, le devoir passait avant toute considération, et si jamais nous l’avons vu formuler une réclamation, c’était pour ses chers élèves qu’il craignait de voir indisposés par cette température insupportable”.

Dessins scolaires de Pierre Ketels,
fusain sur papier d’après modèle vivant.

(En 1870, l’empereur Napoléon III capitule durant la guerre franco-prussienne, ce qui entraîne la chute du régime et la proclamation de la République).

En août 1871 et 1872, Pierre Ketels est à nouveau récompensé lors de la remise des prix aux élèves des Écoles académiques de Roubaix (toujours aux côtés des mêmes protagonistes, R. Cogghe, G. Krabansky… ). Émile Weerts (1857-1942), âgé de 13 ans, reçoit également un prix (il est le petit frère de Jean-Joseph Weerts).

  
Programmes de la remise des prix aux élèves des Écoles académiques de Roubaix, Années 1871 et 1872

Pierre Ketels a 19 ans. De nationalité belge, il est appelé à concourir au tirage au sort pour la levée de la milice dans la province de la Flandre orientale à Gand. À cette époque, le service militaire était fondé sur un tirage au sort, chaque province devait fournir un nombre précis de conscrits, en vertu d’un contingent voté annuellement par le parlement. Par le tirage d’un bon numéro, Pierre Ketels est affranchi du service militaire. Celui-ci ne deviendra obligatoire en Belgique qu’au moment de la première guerre mondiale.

Pierre Ketels quitte Roubaix pour poursuivre ses études à l’École des Beaux-Arts de Lille de 1873 à 1875. Il habite au 110 rue Nationale (initialement nommée “rue Impériale” jusqu’en 1870).

Le 110 rue Nationale se situe à gauche sur la photo, à côté de l’immeuble sombre (l’ancien réseau de tramway a été en service entre 1874 et 1966).

Son logement se situait à proximité du square Foch (initialement nommé square de Jussieu jusqu’en 1949). C’est à l’entrée de ce jardin que sera inauguré une trentaine d’années plus tard, en 1902, le monument en hommage à Alexandre Desrousseaux, “le P’tit quinquin”, statue réalisée par le roubaisien Eugène Deplechin (1852-1926).

Le square de Jussieu (actuel square Foch), aménagé par Jean-Pierre Barillet-Deschamps (1824-1873).

À l’école des Beaux-Arts de Lille, Pierre Ketels a pour professeur Alphonse Colas (1818-1887), l’un des plus grands peintres religieux de son époque, également directeur de l’École.

L’École des Beaux-Arts de Lille (à droite de la photo).

L’École des Beaux-Arts se situait à cette époque rue de la Deûle à Lille, cette rue a été rebaptisée “rue Alphonse Colas” en 1913. Mais aujourd’hui ce bâtiment n’existe plus, en 1965 il a été remplacé par une construction moderne, le Tribunal de Grande Instance, détruisant au passage les fondations de la collégiale romane Saint-Pierre et l’ancien palais de justice néo-classique, le canal quant à lui a été comblé (remplacé par l’actuelle avenue du Peuple Belge).

    

Avant / Après : L’ancien et l’actuel Palais de Justice.

Alphonse Colas (professeur de Pierre Ketels) réalisa d’innombrables décors d’églises, portraits et peintures d’histoire, il a eu pour maître François Souchon (1787-1857), le premier directeur de l’École des Beaux-Arts de Lille. Quant à François Souchon, ami de Géricault (1791-1824), il a été l’élève du peintre néo-classique Jacques-Louis David (1748-1825).

  

Ci-dessus le professeur Alphonse Colas et une peinture se trouvant
au Palais des Beaux-Arts de Lille : “Samson”(1844).

L’enseignement de l’École des Beaux-Arts est basé sur le dessin d’après le plâtre antique, le tracé en perspective, les études anatomiques et documentaires, le nu académique, l’architecture. Les sujets sont à prédominance mythologiques et historiques. L’apprentissage artistique commençait par la copie de dessins.

Étude de Pierre Ketels,
l’original est un portrait équestre peint par Théodore Géricault en 1812.

L’initiation se poursuivait avec les études de détails « d’après la bosse » , c’est-à-dire d’après un bas-relief, un plâtre, un moulage de buste antique par exemple, avant de passer au dessin de statues entières, et aux exercices de l’écorché : l’artiste doit connaître l’anatomie, pour comprendre le mouvement des os et des muscles qui donnent forme au corps.

     

Dessins scolaires de Pierre Ketels (buste, statue et écorché).

Lorsque l’élève avait acquis suffisamment de maîtrise, il passait au dessin de modèle vivant pour s’initier au corps humain, son anatomie, ses proportions et les raccourcis du fait de la perspective. Ci-dessous 2 dessins scolaires, le premier réalisé en Janvier 1875 à Lille, le second non daté.

  

Études d’après modèle vivant – Pierre Ketels.

L’élève abordait ensuite les dessins d’animaux (principalement le cheval), les drapés, et, dans l’atelier d’un maître, l’étude de la couleur.

Autoportrait de Pierre Ketels.

Pierre Ketels remporta durant deux années consécutives, en 1874 et 1875, le premier prix de peinture à Lille.

Diplôme du Premier Prix de peinture à Lille – Pierre Ketels – 1875.

Ci-dessus une copie du diplôme obtenu en 1875, je ne sais pas où se trouve l’original et si il a été conservé. Je n’ai pas non plus connaissance des oeuvres récompensées. Ci-dessous la médaille en argent de 1875.

  

Médaille en argent de la Ville de Lille – Médailleur Jean-Claude Esparon (1823-1886).

Avers : écu aux armoiries de la ville de Lille créé sous le Premier Empire, couronné de tours et encadré de guirlandes de chêne et laurier enrubannées. En haut des abeilles (symbole impérial), au milieu un drapeau accroché à une lance et en bas une représentation du siège de Lille bombardée par les autrichiens en 1792.
Revers : inscriptions gravées dans une couronne de rameaux de chêne : “Écoles Académiques – Peinture – 1ère Division – Ketels Pierre – 1875”.

Suite au décret du 11 décembre 1875, Pierre Ketels obtient le statut d’admis à domicile. À cette époque le Code Civil distinguait de la naturalisation qui conférait des droits politiques et divers avantages, une étape intermédiaire nommée « admission à domicile » qui ne concernait que des droits civils (mais permettait d’échapper au service national).

Extrait de la lettre de demande d’admission à domicile adressée au ministre de la justice le 11 Novembre 1875.

L’admission à domicile précède obligatoirement la naturalisation, qui ne peut être obtenue que trois ans après, Pierre Ketels devra donc attendre 1878 pour finaliser sa demande de naturalisation.

En 1876, alors âgé de 23 ans, il se rend à Paris où il intègre l’atelier d’Alexandre Cabanel (1823-1889) à l’école des Beaux-Arts.

L’École des Beaux-Arts de Paris.

Les 1500 élèves entrent par la grille de la rue Bonaparte, gardée par les bustes de Poussin et de Puget, ils viennent de toute la France et du monde entier.
L’École des Beaux-Arts regroupe quatre disciplines : peinture, sculpture, gravure, et architecture. Elle est la lointaine héritière des écoles de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648 et située à cette époque dans la Grande Galerie du palais du Louvre. Les locaux actuels sont occupés depuis 1817, ils forment un vaste ensemble de monuments historiques au cœur de Saint-Germain-des-Prés. L’École doit son caractère et son charme à ce qu’elle se compose de bâtiments de diverses époques qui se complètent et s’harmonisent, représentant trois siècles d’architecture. La construction la plus ancienne est la chapelle édifiée au début du XVIIe siècle.

Façade de la chapelle, photographiée par Édouard Baldus (1813-1889).

L’Académie des Beaux-Arts a deux grandes divisions : les ateliers et l’École proprement dite. Ces ateliers servaient souvent de préparation au difficile concours d’entrée. De nombreux artistes ont simplement été inscrits dans les ateliers, sans jamais réussir ou même se présenter au concours d’admission.

Alexandre Cabanel (1823-1889).

Suite à la réforme de l’école des Beaux-Arts, Alexandre Cabanel se retrouve à partir de 1864 à la tête de l’un des trois ateliers de peinture. Les deux autres ateliers sont dirigés par Jean-Léon Gérôme (1824-1904) et Henri Lehmann (1814-1882) qui vient de prendre la succession d’Isidore Pils (1815-1875).

   

Jean-Léon Gérôme (photographie F. Mulnier)
et Henri Lehmann (Autoportrait)

Dans un article du Figaro paru en 1879, le journaliste Félix Platel dresse un portrait des trois Maîtres :
“M. Cabanel, petit aux épaules carrées. Ce n’est plus l’artiste aux cheveux noirs – d’un beau noir des anciennes palettes. Sa barbe et ses cheveux sont tout blancs, quoiqu’il n’ait que cinquante-cinq ans. M Cabanel avait déjà, à vingt ans, l’air d’un professeur. Il est entré à l’institut avant d’avoir quarante ans. Esprit très pondéré. Talent et manières autoritaires. C’est de son atelier que sortent le plus de prix de Rome.
M. Gérôme, grand, mince, nerveux, moustaches grises, figure espagnole, cinquante-cinq ans. Archéologue. Épris d’une savante curiosité. Habile évocateur du passé païen. Fait de la grande peinture sur chevalet – de grands tableaux dans de petits cadres.
M. Lehmann. Disciple d’Ingres. Sa peinture a une rare force de caractère. Soixante-cinq ans. Barbe et cheveux blancs, coupés courts. Face douce et charmante de jeune vieillard”.

Le Palais des Études (tel qu’il est actuellement).

Les ateliers de dessin se trouvent au premier étage du palais des études et sont éclairés par une baie vitrée. Le modèle s’installe sur une table à plateau tournant, il est parfois devant un rideau qui sert de fond, l’atelier est chauffé par un poêle traditionnel. Les ateliers sont livrés à eux-mêmes, hormis la visite tri-hebdomadaire du professeur.

“L’atelier de Cabanel” – Tableau peint par Tancrède Bastet en 1883.

Alexandre Cabanel est l’un des peintres académiques du Second Empire les plus admirés et critiqués, il est à la fois le peintre des grands décors et le portraitiste mondain. Il doit notamment sa célébrité au tableau controversé “la Naissance de Vénus”, exposé au Salon de 1863 et acheté par l’empereur Napoléon III.

“La Naissance de Vénus”, tableau d’Alexandre Cabanel peint en 1863, exposé au musée d’Orsay.

L’enseignement de Cabanel est fondé sur la précision du dessin, il incarne face à l’impressionnisme le dernier éclat de la peinture académique. Sa place centrale dans le monde des arts à cette époque explique l’engouement qui pousse de nombreux jeunes gens à intégrer son atelier. Celui-ci devient rapidement l’un des plus importants de l’école, en moyenne 26 nouveaux élèves intègrent ses cours chaque année, durant 25 ans, jusqu’à sa disparition en 1889. Ce sont 659 élèves qui passent par son atelier, ils sont aussi largement présents dans les concours et les Salons. La journée à l’École des Beaux-Arts se divise entre les cours en atelier et les visites dans les musées. Le musée du Louvre se trouve à proximité de l’École des Beaux-Arts, il suffit à Pierre Ketels de traverser la Seine pour s’y rendre et s’imprégner de l’art des maîtres du passé. Il y copiera plusieurs tableaux, comme cette Vierge à l’Enfant.

“Vierge à l’enfant” – Pierre Ketels.
D’après un tableau de Laurent de la Hyre (peint en 1642) se trouvant au Louvre.

“Cabanel souhaite un haut niveau technique au sein de son atelier. La clef de voûte de son enseignement demeure le dessin d’après l’antique et le modèle vivant ; il impose donc à ses étudiants une longue pratique du dessin avant de les laisser s’adonner à la peinture.

Études au fusain sur papier d’après des sculptures antiques – Pierre Ketels.

Le nombre d’étudiants à l’atelier devenant de plus en plus important, le peintre décide dès 1867 d’en limiter l’accès et ouvre pour cela un concours de dessin et de peinture afin d’effectuer un premier tri parmi ses élèves ; une liste est ainsi dressée et seuls les 70 premiers sont admis à étudier dans l’atelier de peinture. Ces concours internes permettent en outre à Cabanel de percevoir le talent de certains de ses élèves et de leur offrir un placement avantageux dans l’atelier. La salle ou l’on peint d’après le modèle vivant ne pouvant contenir plus de vingt-cinq étudiants devant leur chevalet, seuls les tout meilleurs sont autorisés à venir quotidiennement, les autres ne sont présents que par intermittence. Hors de l’atelier, ces derniers pouvaient aussi développer des esthétiques plus réalistes ou impressionnistes.

Un atelier de peinture à l’École des Beaux-Arts de Paris.

Les témoignages de ses contemporains décrivent un homme sympathique, à l’écoute, plus enclin à laisser ses élèves suivre leur propre pente, modifiant et adaptant ses conseils aux besoins de chacun. Son enseignement, moins strict et plus libéral que celui de Jean-Léon Gerôme a même été jugé trop laxiste par certains. L’ambiance dans son atelier pouvait parfois paraître bruyante et indisciplinée” (Source : Hilaire Michel, Amic Sylvain).

Pierre Ketels intègre donc l’atelier de Cabanel le 12 février 1876, dix jours après Rémy Cogghe.

Extrait du registre d’inscription des élèves à l’atelier de Cabanel (source Archives Nationales).

Durant ce même mois de février, Krabansky, qui a intégré l’Académie des Beaux-Arts depuis près de 3 ans, est classé premier au concours annuel de l’atelier. Ces trois artistes se connaissent déjà bien, ils sont tous trois roubaisiens et anciens élèves du professeur Mils.

Cabanel a également attiré dans son atelier d’autres artistes du Nord, comme Jean-Joseph Weerts (1846-1927), mais aussi Pharaon de Winter (1849-1924) et Léon-François Comerre (1850-1916). L’abbé Fernand Soenens, historien et critique d’art, écrit à ce sujet : “J’imagine que Cabanel dut quelquefois être dépaysé en son propre atelier, au milieu du groupe de compatriotes, s’exprimant, dans des moments de jeunes gaieté, en certain idiome de notre province”.

Album d’Études – Épreuves albuminées – Louis Igout (1837-1881).

L’album d’études de poses ci-dessus appartenait à Pierre Ketels. Il contient des planches de photographies, essentiellement des nus académiques, qui constituent un répertoire d’expressions, de gestes et de poses, destiné à aider l’artiste à l’étude du contour, du modelage et des proportions.

En Août 1876, Pierre Ketels fait une demande de bourse auprès du conseil général du Nord, il est classé 3ème mais la bourse reviendra au candidat classé 4ème, le conseil préférant privilégier un candidat d’origine française : « l’élève Ketels est Belge d’origine, admis depuis octobre dernier seulement à domicile en France. Votre 3ème bureau est d’avis de ne pas accueillir sa demande de bourse et cela avec d’autant plus de raison qu’en lui accordant, un excellent sujet, enfant du Nord, l’élève Boutry, verrait sa demande rejetée ». En effet, Edgar Henri Boutry (1857-1938) est un sculpteur lillois talentueux, il obtiendra le second prix de Rome en 1885, le prix de Rome en 1887, et recevra les insignes de chevalier de la Légion d’honneur en 1903, il a également réalisé des sculptures pour l’Hôtel de ville de Roubaix.

Edgar Henri Boutry (1857-1938).
(Cette photo se trouvait sur un fascicule conservé par Pierre Ketels).

Le 19 Août 1876, alors âgé de 23 ans, Pierre Ketels remporte la grande médaille d’or à Lille avec le tableau “la mort d’Adonis”. Cette médaille aurait été revendue après la seconde guerre mondiale. Je ne sais pas si le diplôme a été conservé, mais le tableau se trouve désormais en Irlande.

La Mort d’Adonis – Pierre Ketels – 1876 – Huile sur toile

Cette récompense a fait l’objet d’un article paru dans le journal de Roubaix :
“Hier, l’Académie de peinture de Lille offrait à M. Pierre Ketels, notre concitoyen, la grande médaille d’or. C’est la quatrième seulement que la ville de Lille décerne depuis quarante ans. C’est donc une distinction d’autant plus flatteuse qu’elle est rare, inaccoutumée et tout à fait en dehors du programme.
La composition de M. Ketels est la mort d’Adonis. Ce jeune peintre a parfaitement compris l’expression à donner à son tableau ; il a su, s’inspirant de l’antique et de la nature, donner à son sujet le caractère qui lui convenait ; l’attitude de son Adonis témoigne d’un goût délicat de composition. Le paysage simplement indiqué caractérise bien l’effet du sujet. Nous remarquons dans le torse et dans les jambes de grandes qualités de modelé et une grande finesse de couleur.
En un mot, le tableau de M. Ketels est remarquable. La poésie et l’art ont passé par là.” J.D

Cette oeuvre a été réalisée à Paris, alors que l’artiste était élève d’Alexandre Cabanel. Le mythe d’Adonis est un thème souvent abordé, comme en témoigne les nombreuses interprétations de ce thème dans l’histoire de l’Art. Il symboliserait non seulement le cycle des saisons (en hiver, Adonis descend dans le royaume d’Hadès rejoindre Perséphone, au printemps il revient sur terre s’unir à Aphrodite), mais aussi celui de la vie et de la mort (malgré les conseils de prudence d’Aphrodite, Adonis se rendit seul à la chasse et fût mortellement blessé par un sanglier). Le peintre a représenté la scène peu de temps après l’accident, Adonis est étendu, entre extase et agonie, dans un paysage froid et hostile. Le nu est un genre qui prend de l’importance dans la peinture française du 19ème siècle. Adonis est représenté esseulé, Venus est remarquablement absente, sa présence invisible est matérialisée dans l’obscurité. Ce tableau de style académique privilégie la posture et s’inspire des compositions religieuses représentant le Christ mort, l’artiste transpose ainsi une scène mythologique en scène biblique. Il sublime le personnage en le plaçant dans un contexte crépusculaire, la lumière divine est en opposition avec l’obscurité du décor, le contraste ainsi produit confère une atmosphère dramatique à ce tableau qui porte à la méditation et exprime la brièveté de la vie.

Pierre Ketels sollicite le Conseil Municipal de Lille pour l’obtention d’une bourse. Sa demande est étudiée lors d’une réunion du Conseil en octobre 1876.
André Catel-Béghin (1813-1894), maire de Lille et président du Conseil Municipal, amorce le débat : « Je dois produire au Conseil deux nouvelles demandes de subsides, dont l’une est très intéressante, c’est celle du jeune Ketels, peintre, qui a remporté les premiers prix de nos écoles académiques, et qui est fortement recommandé par la Commission de surveillance». Le débat sur l’attribution des subventions se révèle alors sujet à de longues controverses.

Catel-Béghin (1813-1894), maire de Lille (de 1873 à 1878)

M. Le Maire appuie la demande du jeune artiste : «Bien que Ketels soit d’origine belge et que ses parents, simples ouvriers, soient domiciliés à Roubaix ; je crois que ce jeune homme a des talents réels, et qu’il fera honneur à la Ville qui aura aidé à son instruction». Il propose de lui allouer une subside de 1000 francs (à titre indicatif le salaire quotidien moyen d’un ouvrier était d’à peu près 3 francs à l’époque).
L’un de ses adjoints, Jean-Baptiste Desbonnet, n’est pas de cet avis (membre du conseil, il sera plus tard président de la commission des finances pour la construction du palais des Beaux-Arts de Lille). Il développe : « Le jeune Ketels, dont les parents habitent Roubaix, a subi le sort en Belgique ; c’est ultérieurement qu’il a songé à se faire naturaliser français. Les faveurs de la Ville doivent aller ailleurs qu’à un étranger. Il paraît convenable de les réserver, avant tout, aux jeunes gens qui ont satisfait à la loi du recrutement en France ; nous ne pouvons oublier d’ailleurs que notre budget est assez grevé pour que l’on s’arrête ».
Achille Werquin intervient à son tour.

Achille Werquin (1834-1891), portrait peint par Léon Comerre (1850-1916) en 1880.

Né à Roubaix en 1834, Achille Werquin est avocat à Lille et homme politique, il sera plus tard député de la première circonscription de Lille. Il insiste pour que le subside demandé par M. Ketels soit voté : « Les jeunes gens qui se présentent sont recommandés par les personnes qui ont le mieux qualité pour le faire et qui doivent jouir d’un plus grand crédit auprès de nous, puisqu’elles forment les Commissions de surveillance de nos Écoles académiques (…). Je suis d’avis du renvoi des demandes nouvelles à la Commission. J’apprécie fort la sollicitude de M. Jean-Baptiste Desbonnet à l’endroit de nos finances ; mais je crois qu’il déploie trop de sévérité à l’occasion de Ketels. Ce jeune homme, d’abord peintre en bâtiments, puis en équipages, est venu depuis plusieurs années, étudier le dessin et la peinture dans notre École des Beaux-Arts. Il a obtenu, il y a trois ans, le premier prix ; il y a deux ans, la première médaille. Le Jury lui a décerné cette année la médaille d’or. Il est studieux, travailleur ; il a une excellente conduite. C’est dans notre ville qu’il est né comme artiste et c’est à elle qu’il fera honneur, si vous lui donnez les moyens de perfectionner son instruction ». Après de longues discussions sans dénouement, le dossier est finalement renvoyé à la commission des Écoles.
Quelques semaines plus tard, lors d’une nouvelle séance, c’est au tour de Jules Dutilleul d’ouvrir le débat.

Jules Dutilleul (1837-1883), maire de Lille de 1877 à 1881.

Jules Dutilleul est brasseur, inventeur, conseiller général du Nord, il sera par la suite maire de Lille et Sénateur du Nord. Il plaide en faveur du sieur Ketels, « ouvrier obscur, ayant émergé de l’ombre à force de patience et de courage, honoré de trois médailles successives dont une en or cette année, aux Écoles académiques, et qui semble, en raison même des difficultés vaincues par lui jusqu’ici, devoir peut-être un jour ajouter un fleuron à la couronne artistique de la cité Lilloise (…). Il avait fait de notre Ville sa patrie d’adoption ; son imagination, que la roture de sa position aurait dû glacer, y avait pris essort grâce aux leçons de ses maîtres ; pauvre, inconnu, écrasé sous la tyrannie quotidienne d’un travail ingrat, mais nécessaire, il s’était mis à l’oeuvre, en sentant bouillonner en lui la sève de l’inspiration et semblait apparaître aujourd’hui, grâce au triomphe de tant d’efforts, comme un prédestiné de l’art. C’est sous cette impression, Messieurs, que les membres de votre Commission, à l’unanimité, vous proposent d’accorder au sieur Ketels une bourse de milles francs, qui lui permettra de continuer ses études de peinture à Paris. »
Le discours n’a toujours pas convaincu Jean-Baptiste Desbonnet qui reste sur sa position : « Ketels est belge ; il a attendu l’heure de sa majorité pour demander sa naturalisation en France, afin de n’avoir pas à subir l’impôt du recrutement. Ses parents n’habitent même pas Lille ; ils sont domiciliés à Roubaix ; Ketels est venu ici, depuis quelques années, pour étudier le dessin dans nos Écoles académiques, où il a été reçu libéralement, ce qui n’est pas un motif pour que nous poussions la générosité jusqu’à lui offrir une subvention pour aller maintenant continuer ses études à Paris. Il y a peu d’années encore, vous n’admettiez aux bourses du lycée que les enfants nés à Lille. Dérogerez-vous à cette règle, alors qu’il s’agit d’un enseignement plus coûteux et moins utile ? et cela, en faveur d’un étranger, dont les succès, si tant est qu’il en ait un jour, seront réclamés par son pays d’origine, et dont l’honneur ne reviendra nullement à la ville de Lille ».
Edmond Mariage combat ces arguments, il réclame avec instance la faveur sollicitée par M. Ketels : “nous n’avons en ce moment aucun peintre à l’École des Beaux-Arts, et les aptitudes de ce jeune artiste offrent tous les caractères d’un talent original“.
Jules Decroix convient qu’en effet M. Ketels se présente, au point de vue du talent et du travail, dans les meilleures conditions (Jules Decroix est ancien officier d’ordonnance du général Faidherbe et bâtonnier de l’ordre des avocats). Cependant il poursuit : « Il a toutes mes sympathies ; mais nous ne devons pas oublier que nous ne sommes que les mandataires des contribuables ; que les sacrifices d’argent, que nous leur demandons sous forme d’impôt ou d’octroi, ne peuvent être appliqués qu’aux choses intéressant la cité lilloise, et que nous n’avons nullement le droit d’en distraire une obole au profit des étrangers. Or, M. Ketels est un étranger, et quelles que soient nos sympathies pour lui, je crois que nous excèderions nos pouvoirs en mettant son instruction artistique à la charge de la ville de Lille. »
Hippolyte Verly croit l’argumentation de M. Decroix empreinte d’un peu d’exagération.

Portrait d’Hippolyte Verly (1838-1916) réalisé par Pierre Ketels en 1888.

Hippolyte Verly est un journaliste, écrivain, il fut notamment directeur du quotidien L’Écho du Nord, membre fondateur de la Société artistique, et chevalier de la Légion d’honneur. Il déclare : « La Ville de Lille n’a pas l’habitude de reculer quand il s’agit d’encourager les Arts. Elle est fière de cette tradition libérale ; elle sait au besoin adopter les jeunes talents, même lorsqu’ils ont pris naissance sur le sol étranger. Les véritables enfants de Lille, en matière d’art, sont ceux qui ont été élevés dans nos Écoles, quelle que soit d’ailleurs leur origine. Le jeune Ketels, on l’a dit avec raison, a toutes les marques d’un talent original, et nous devons espérer que, comme Carolus Duran, il fera un jour honneur à notre Ville. L’honorable membre est tout disposé, pour son compte, à voter une subvention de 1000 francs en faveur de M. Ketels ».
M. le Maire dit qu’il avait été arrêté au début, à l’endroit de M. Ketels, par des scrupules assez semblables à ceux qu’à exprimés tout à l’heure M. J.B. Desbonnet ; mais qu’il a dû se rendre aux excellents témoignages que la Commission administrative des Écoles académiques lui a donnés du talent de ce jeune artiste : «il joint à de rares aptitudes une grande opiniâtreté dans le travail : il est étranger, à la vérité, sa demande de naturalisation n’ayant pas été acceptée ; mais il a été admis à fixer sa résidence en France et nul doute que la naturalisation suivra dans quelques années. Quoiqu’il en soit, et bien que nos bourses soient créées pour des enfants de la cité et non pour les étrangers à la Ville qui peuvent recourir au Conseil général, j’admets très volontiers, mais à titre exceptionnel, que le conseil accorde 1000 francs à Ketels, en raison de ses heureuses dispositions et de son désir bien arrêté de se fixer à Lille». C’est dans un heureux dénouement que le conseil adopte finalement cette décision.

Le 14 Août 1877, Pierre Ketels intègre l’École des Beaux-Arts de Paris, il est classé 13ème sur 152 élèves lors du concours d’entrée.

Extrait du registre d’inscription des élèves à l’académie des Beaux-Arts de Paris (source Archives Nationales).

Sa réussite à l’examen d’admission lui permet d’assister aux cours et se présenter comme candidat aux différents concours. Ce qu’il ne tardera pas à faire : le 22 Novembre 1877, il participe au concours de dessin d’ornement, concours commun aux sections de sculpture, architecture et peinture.

Extrait des registres des lauréats des concours de peinture de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts.

Pierre Ketels n’est pas médaillé mais obtient une mention avec le dessin ci-dessous. Il représente un fragment de frise décorative issu d’un bâtiment du forum de Trajan à Rome.

Dessin réalisé pour le concours de dessin d’ornement – Novembre 1877 – Pierre Ketels.

Le 24 Janvier 1878, Pierre Ketels participe à nouveau au concours de dessin d’ornement

Extrait des registres des lauréats des concours de Dessin d’Ornement – Janvier 1878

Toujours pas de médaille, mais il obtient une mention avec le dessin ci-dessous. Il représente un caisson de soffite rectangulaire, élément décoratif de plafond issu du temple de Castor et Pollux (rinceaux, fleurons, stalactites).

Dessin réalisé pour le concours de dessin d’ornement – Janvier 1878 – Pierre Ketels.

L’École des Beaux-Arts est très disciplinée. Le journaliste Félix Platel explique dans un article paru en 1879 : “Un surveillant et un gardien avec chapeau à claque assistent au cours. Ceux-ci très divers ont lieu dans des grandes salles à gradins, comme les salles de la Sorbonne. M. Taine professe l’histoire de l’art dans la grande salle mi-circulaire, que rend célèbre la peinture de Delaroche”. La fresque de Paul Delaroche, achevée en 1841, décore l’hémicycle de l’amphithéâtre d’honneur, la salle des Prix, au fond du Palais des études.

La Renommée distribuant des couronnes”, fresque de Paul Delaroche (1797-1856).

Paris inaugure le 1er mai 1878 sa troisième Exposition universelle (après celles de 1855 et 1867). Le succès est immense, l’Exposition reçoit 6 millions de visiteurs.

Construit pour l’Exposition universelle de 1878, le palais du Trocadéro a été détruit en 1935 pour laisser place à l’actuel Palais de Chaillot.

Au même moment se déroule le Salon de peinture et de sculpture, manifestation artistique ouverte le 25 mai au Palais de l’Industrie des Champs-Élysées. Pierre Ketels y participe pour la première fois, il expose des portraits d’enfants.

Extrait de « Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure, des artistes vivants » – salon de 1878

Le Salon existe depuis la fin du 17ème siècle, il sera succédé par le “Salon des artistes français” à partir de 1880. Ce salon existe toujours aujourd’hui.

Le Palais de l’Industrie des Champs-Élysées où a lieu le Salon.

Le Palais de l’Industrie avait été construit pour l’Exposition universelle de 1855 sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris, il sera détruit en 1896.

Vestiges du Palais de l’Industrie – Estampe publiée en 1900 dans l’hebdomadaire “l’Illustration”.

Le Salon de Paris était l’endroit à la mode pour les visiteurs qui attendaient impatiemment cet événement, et notamment le vernissage inauguré par le président de la République.

“Un Jour de vernissage au palais des Champs-Élysées” (salon de 1890) par Jean-André Rixens (1846-1925).

Les oeuvres représentaient principalement des paysages et des portraits, mais aussi des nus, scènes de genre et peintures d’histoire (peu de natures mortes).

Ce tableau d’Edouard Dantan (1848-1897) représente
une des salles d’exposition du Salon de Paris en 1880.

Pierre Ketels habite 8 rue Odessa, près de l’ancienne gare de Paris-Montparnasse. Il a pour voisins dans le même immeuble des artistes qui eux aussi exposent au Salon de Paris, il s’agit du sculpteur Antide Marie Péchiné (1855-1929), du peintre Henry Chatellier (élève de Carolus Duran, qui enseigne la peinture dans son atelier boulevard du Montparnasse), et du peintre post-impressionniste Abraham-Léon-Paul Rossert (1851-1918), né à Lannoy dans le Nord (élève de Jules Noël, Henri Lehmann et Carolus Duran).

La rue d’Odessa dans le quartier du Montparnasse (vers 1900).

La rue d’Odessa est aujourd’hui connue comme étant une rue où se trouvent de nombreuses crêperies bretonnes, en raison de la communauté qui s’était installée à la fin du 19ème siècle dans le quartier, la gare Montparnasse desservant l’Ouest de la France. Le nom de ce quartier fait référence au mont Parnasse, une montagne qui surplombe la cité de Delphes en Grèce, résidence des muses dans la mythologie. Ce nom avait été donné ironiquement par des étudiants qui avaient nommé ainsi un amas de gravats qui formait, avant 1725, une colline artificielle.

L’ancienne gare Mont-parnasse, de style néo-classique.

Oeuvre de l’architecte Victor Lenoir, l’ancienne gare Mont-parnasse a été inaugurée en 1852 (elle sera détruite en 1966, à sa place s’érige désormais la tour Montparnasse).

En Mai 1878, Pierre Ketels participe à nouveau au concours de dessin d’ornement de l’École des Beaux-Arts de Paris, il obtient une mention.

Extrait du registre des concours de l’Académie des Beaux-Arts (source Archives Nationales).

Ci-dessous les 3 dessins médaillés réalisés par Florimond Munier, Ferraz d’Almeida, considéré comme le principal peintre réaliste brésilien (assassiné dans l’État de São Paulo en 1899), et Theodore Robinson (ami de Claude Monet), l’un des premiers impressionnistes américains (mort à New York à l’âge de 43 ans).

Vase en calice néo-attique – Dessins de Munier, Almeida et Robinson.

En Juin 1878, Pierre Ketels renouvelle sa participation au concours de dessin d’ornement de l’École des Beaux-Arts de Paris, plus de 120 élèves ont été admis à concourir cette année-là. Sa persévérance est enfin récompensée, Pierre Ketels remporte une médaille.

Extrait du registre des concours de l’Académie des Beaux-Arts (source Archives Nationales).

Le dessin est conservé dans les archives de l’École des Beaux-Arts de Paris, il représente un chapiteau du temple de Vesta à Tivoli :

Concours d’Ornement – Dessin réalisé à la pierre noire – 65 x 50 cm – Pierre Ketels – Juin 1878.

Et ci-dessous les 2 autres dessins récompensés, les angles de vue sont différents car l’ensemble des candidats étaient placés tout autour du chapiteau.

    

Dessins réalisés par Jacques Blanquer et Désiré Sauvé en Juin 1878.

En août 1878, Pierre Ketels passe à nouveau un concours pour obtenir une bourse du conseil général du Nord, il est classé troisième et la bourse revient finalement à un élève lillois du conservatoire de musique, Alphonse Capon, chanteur, musicien, mais aussi poète et écrivain.

Alphonse Capon (1855-1930)

Pierre Ketels renouvelle sa demande de naturalisation. Dans une lettre adressée le 23 Août 1878 au ministre de la justice,  le secrétaire général délégué du préfet du Nord précise : “Ancien élève des Écoles Académiques de lille, il s’est signalé par un travail très opiniâtre et des aptitudes fort remarquables. La ville pour encourager son talent lui a accordé une subvention qui lui permet de continuer ses études à Paris.
Sa demande est finalement acceptée, le 19 novembre 1878, Pierre Ketels est naturalisé français à l’âge de 25 ans.
Cette naturalisation lui permet d’augmenter ses chances d’obtenir une bourse, et surtout de faciliter ses inscriptions aux concours des Beaux-Arts, notamment le concours du grand prix de peinture qui est réservé aux candidats français : les étrangers ne sont plus admis à participer à ce concours depuis 1809, le gouvernement français réservant à ses ressortissants la pension de quatre ans à la Villa Médicis à Rome, qui est offerte au lauréat (ce qui explique pourquoi Rémy Cogghe a choisi de quitter Paris et concourir pour le prix de Rome à Anvers).

Extrait du dossier de naturalisation.

Pierre Ketels a changé d’adresse, il habite au 17 Faubourg Saint Jacques, toujours dans le quartier du Mont-Parnasse. La rue débute au niveau du boulevard de Port-Royal, et se termine place Saint Jacques (lieu des exécutions publiques au moyen de la guillotine jusqu’en 1851). D’autres artistes, principalement sculpteurs, logent dans cet immeuble. Au rez-de-chaussée se trouve le magasin de fournitures artistiques “Raugé et Cie”.

La flèche indique l’ancien immeuble situé au 17 faubourg St-Jacques, à droite l’ancien hôpital Cochin.

Aujourd’hui l’immeuble n’existe plus, il a été rasé en vue de l’élargissement de la rue, puis remplacé par le service des urgences de l’hôpital Cochin, ce dernier a également été reconstruit, la façade est méconnaissable.

Lors d’une réunion du Conseil municipal de Lille en Novembre 1878, il est question de majorer la bourse d’étude attribuée à Pierre Ketels. Jules Dutilleul, Maire de Lille, est favorable : « M. Ketels est un artiste plein d’ardeur. Il est dénué de toute ressource. Sa famille ne peut lui venir en aide. La position de ce jeune homme est vraiment digne de beaucoup d’intérêt”. Mais César Baggio s’y oppose.

César Baggio (1846-1893), avocat français, a donné son nom au lycée Baggio dont il a permis la fondation.

Il objecte : « Cet artiste a exposé deux portraits au salon. Il a donc déjà des pinceaux qui lui rapportent. Par suite la Ville n’a pas tant à se préoccuper de ses moyens d’existence ». Jules Decroix ajoute : « Sans doute, M. Ketels est très intéressant comme artiste, mais il n’est pas originaire de Lille ; il n’est même pas français ». Edmond Mariage intervient : « Ce qu’il faut considérer chez les jeunes artistes qui nous demandent de les aider dans leurs études, ce n’est pas leur qualité de Lillois, mais bien celle d’élèves de nos écoles. Lorsque des jeunes gens ont puisé dans nos cours municipaux les éléments de leur éducation artistique, ils nous appartiennent. Leur succès, s’ils en ont un jour, rejailliront sur nos écoles. S’ils ne sont pas lillois par leur naissance, ils le seront pas leur savoir, et aussi, nous devons le penser, par leur reconnaissance. M. Ketels, il est vrai, est né en Belgique ; mais il vient de se faire naturaliser ; il est français, et a pris Lille pour ville d’adoption. Ses parents sont de pauvres ouvriers tisserands, incapables de lui venir en aide. La Ville sait qu’elle est là en présence d’un jeune talent qui promet énormément.” Le Conseil approuve finalement la majoration du subside alloué à Pierre Ketels.

Pierre Ketels expose au salon de Paris en 1879 au Palais des Champs-Élysées, voici le descriptif paru dans le “Dictionnaire Véron” : “Le portrait de “Mme R.” est debout, presque de face et en pleine lumière. Cette dame se détache sur un rideau amarante un peu trop vif. La figure est d’un dessin serré et d’un modelé délicat, la pose simple et distinguée. Bon portrait.”

Le Boulevard Montparnasse à Paris.

Pierre Ketels a encore changé d’adresse, mais reste dans le même quartier, il habite au 50 boulevard du Mont-Parnasse. Cette adresse est également cette année-là le domicile du peintre Eugène Carrière, lui aussi élève de Cabanel à l’École des Beaux-Arts et exposant au salon de Paris, ils étaient donc voisins, peut-être amis. Pour se rendre à l’École des Beaux-Arts il leur suffit d’emprunter la rue de Rennes et la rue Bonaparte. Peu après, le lieu sera habité par Jean Moréas (poète symboliste), André Gill (caricaturiste, peintre et chansonnier français), et Léopold Flameng (graveur, peintre et illustrateur).

     

Eugène Carrière (1849-1906) – photo prise à l’école des Beaux-Arts de Paris (vers 1885) et autoportrait (en 1893).

Le quartier Montparnasse était autrefois un lieu de rencontres artistiques et intellectuelles, il avait le charme d’un faubourg campagnard. Les premiers à y venir pendant la seconde moitié du 19e siècle sont les peintres impressionnistes, tels que Claude Monet et Auguste Renoir (… puis Hemingway, Picasso, Chagall et Apollinaire au début du 20e siècle).

Voici un article paru dans le journal de Roubaix en 1879 :
Un de nos concitoyens, M. Pierre Kétels, après avoir suivi pendant un an, le cours de peinture professé aux écoles académiques de Roubaix par M. Mils et pendant 3 ans, le cours de M. Colas, des écoles académiques de Lille, a été envoyé comme pensionnaire du chef-lieu à l’école des Beaux-Arts de Paris. Un de nos confrères de Lille publie, au sujet des travaux de M. Kétels, les lignes suivantes que nous nous empressons de reproduire :
« Les études rapportées à Lille par M. Kétels, pensionnaire de notre ville à l’école des Beaux-Arts de Paris, font plaisir à voir : elles témoignent des progrès considérables faits par ce jeune artiste dans le courant de l’année scolaire qui vient de se terminer. On y trouve science et amour profond de son art, goût, couleur, sobriété des effets, et cette sévérité dans l’exactitude et dans la pureté du dessin qui caractérise l’atelier de M. Cabanel dont M. Ketels fait partie.

Une, entre autres, est remarquable sous tous les rapports. La pose est parfaitement rendue, l’ensemble solide, la construction vigoureuse, le dessin joli, délicat. Comme exactitude et rendu du modèle, c’est aussi bien, malgré la promptitude d’exécution, que les charmants portraits que M. Kétels exécute avec sentiment et respect de caractère.
Un de nos confrères, en rendant compte dernièrement du Salon de 1879, accordait ces qualités au portrait de Mme R.. L’étude dont nous parlons ne cède en rien à cette oeuvre. On y remarque, en outre, une fraicheur de coloris qui séduit beaucoup, et un modelé fait avec simplicité, certitude et vérité, une grande lumière, une gamme de couleurs étendue et précise qui donne des tons de chairs saisissants de naturel.
Ces travaux du jeune peintre, le public les verra le mois prochain, lors de l’exposition annuelle des écoles académiques. Nous pensons que, dans cet examen, les connaisseurs lillois éprouveront toute satisfaction, et seront d’avis, comme ceux de Paris, que M. Kétels est dans une excellente voie qui fait bien augurer de son avenir ».

Article paru dans le journal de Roubaix en 1879.

En août 1879, Pierre Ketels tente à nouveau d’obtenir une bourse du conseil général, mais la manque de peu en obtenant la deuxième place du concours, la bourse reviendra au sculpteur Henri Gauquié (nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1901) : “Le sieur Gauquié qui a obtenu le n°1 à ce Concours avec 364 points soit 21 points de plus que le n°2, le sieur Ketels, né à Gand nous semble avoir des droits incontestables à l’obtention de la bourse de 1000 fr actuellement vacante à l’École des Beaux-Arts. Toutefois, un de nos collègues du 3ème bureau nous a signalé les titres de M. Ketels classé avec le n°2 à une gratification exceptionnelle. Tout en reconnaissant que ce jeune homme est digne d’intérêt, le 3ème bureau, afin de na pas créer un précédent, ne peut donner satisfaction sur ce point à notre honorable collègue” (extrait des rapports du Conseil Général du Nord).

   
Henri Gauquié (né en 1858 à Flers-lez-Lille, inhumé à Paris en 1927), et le monument qu’il a dédié à Watteau dans le jardin du Luxembourg à Paris.

Des oeuvres de Pierre Ketels sont présentées lors de l’exposition annuelle des écoles académiques à Lille, au mois d’Août 1879.
Il ne participe pas au salon de Paris en 1880.
Le 29 Mars 1881, le journal littéraire et politique « Le Gaulois » publie la liste de vingt élèves “admis à prendre part au concours définitif pour l’entrée en loge”, Pierre Ketels en fait partie. La loge est une cellule, un petit atelier servant aussi de chambre dans laquelle le candidat admis au concours (logiste) est enfermé pour réaliser l’œuvre, sans communication avec le dehors.

Article extrait du journal “Le Gaulois” du 29 Mars 1881.

La même liste est publiée dans divers journaux, notamment “La Presse” et “l’Estafette” du 30 Mars 1881 : “Le premier essai pour le concours du grand prix de peinture a été jugé hier à l’École des Beaux-Arts. Vingt concurrents ont été admis au deuxième essai”. Il s’agit du prestigieux concours du Prix de Rome. Classé huitième, Pierre Ketels est admis à la deuxième épreuve.

Extrait des registres des concours de peinture de l’académie des Beaux-Arts (source Archives Nationales).

L’ambition suprême de tout élève était de remporter le Grand Prix de Rome, récompense décernée chaque année, entre 1663 et 1967, et permettant au lauréat de résider plusieurs années à la Villa Médicis à Rome. Pour participer aux concours annuels du prix de Rome de peinture, le candidat devait être de sexe masculin (les femmes n’obtiendront le droit de concourir qu’en 1903), être de nationalité française, célibataire, avoir moins de trente ans, présenter une lettre de recommandation d’un maître reconnu, et avoir réussi l’examen d’admission à l’École des Beaux-Arts. Pierre Ketels remplit toutes ces conditions.
Chaque année, au début du printemps, une centaine de candidats participaient à cet éprouvant concours. Il comprenait plusieurs épreuves d’essai et une épreuve définitive. Les premières épreuves sont des esquisses peintes à l’huile sur toile, les thèmes sont toujours tirés de l’histoire biblique ou mythologique. Les concurrents sont enfermés dans un atelier de l’école qu’ils ne peuvent quitter avant d’avoir terminé l’épreuve. Les sujets cette année-là sont le “Sacrifice de Manoah, père de Samson” pour le premier essai et “Ulysse évoquant les ombres” pour le second essai. Pierre Ketels surmonte cette étape avec succès, il fait partie des vingt demi-finalistes.

  

Programmes du 1er et 2ème essai pour le Grand Prix de Peinture de 1881, extraits des registres de l’académie des Beaux-Arts (source Archives Nationales).

Durant l’épreuve qui suit, les concurrents entrent en loge pour quatre sessions de sept heures et doivent réaliser une étude de nu, peinte à l’huile sur une toile, d’après un modèle masculin. Pierre Ketels ne fera malheureusement pas partie des dix candidats retenus pour l’épreuve définitive.
Les dix finalistes doivent exécuter une esquisse et une grande toile sur un sujet historique imposé, isolés durant soixante-douze jours dans une loge. Cette année-là le thème est “la colère d’Achille”. Les œuvres sont exposées publiquement lors de la décision du jury, Louis-Édouard Fournier remporte le premier prix (tableau ci-dessous) et Henri-Camille Danger le second prix.

Louis-Édouard Fournier – Premier Grand Prix en 1881.

Pierre Ketels ne tentera pas une nouvelle candidature au Prix de Rome l’année suivante. Pour l’anecdote, Eugène Delacroix, Édouard Manet, et Edgar Degas font partie des artistes qui tentèrent le prix de Rome et n’obtinrent jamais la moindre récompense, Jacques-Louis David aurait même tenté de se suicider après son deuxième échec.

En Mai 1881, Pierre Ketels participe au “Salon des artistes français” de Paris, exposition annuelle succédant au “Salon de peinture et de sculpture”. Il expose un portrait d’homme et un portrait de femme, voici une description de l’un des deux tableaux présentés, parue dans le “Dictionnaire Véron” : “portrait de femme assise de face et les bras croisés, tenant son éventail. Elle est coiffée d’un chapeau, avec grand noeud rouge sous le menton. La Physionomie, aux traits réguliers, est calme et méditative. Bonnes qualités”.

Pierre Ketels habite toujours le quartier Montparnasse mais a une nouvelle fois changé d’adresse, son atelier est désormais au 69 Rue du Champ-d’Asile à Paris. Rebaptisée rue Froidevaux en 1896, cette rue longe le cimetière du Montparnasse. Le numéro “69” correspond à l’entrée du passage Fermat (appelé “passage du Champ d’Asile” jusqu’en 1927), passage d’artistes où il a notamment pour voisin le peintre Desbrosses et le sculpteur Trehard. “Le Passage Fermat est très étroit, mais c’est justement ce qui fait son charme. C’est un de ces rares, pittoresques, passages d’artistes qui subsistent, et qui ont fait la gloire du quartier Montparnasse. On y ressent un micro-climat, un peu comme dans l’impasse Florimont où a vécu G. Brassens. Ernest Hemingway y occupa un des ateliers dans les années 25, et il abrite encore de nos jours des ateliers d’artistes, comme celui de Claude Yvel” (Source : “association Monts 14”). Ci-dessous l’entrée du passage Fermat actuellement.

Le “passage Fermat”, anciennement “passage du Champ d’Asile”.

En août 1881 il obtient enfin une bourse du conseil général du Nord en réussissant à obtenir la première place au concours, cette bourse lui permet de continuer ses études à Paris. Voici un extrait du rapport de délibérations du conseil général du Nord : “Deux bourses sont vacantes, et pour leur obtention, deux concours ont eu lieu à Lille dans le courant du présent mois d’août, l’un pour les élèves artistes peintres, l’autre pour les élèves artistes architectes. Le 3ème bureau vous propose d’accorder une bourse à M. Kétels, premier élève peintre à l’École des Beaux-Arts, né à Gand le 11 janvier 1853, demeurant à Roubaix, et qui a été admis le 19 novembre 1878, par décision de M. le Président de la République, à jouir des droits de citoyen français. M. Kétels a obtenu au concours le n°1 avec 58 points, sur le maximum de 60 ; le concurrent qui le suit n’a obtenu que 50 points.”

Une loterie est organisée en faveur de la femme et les enfants du peintre Georges Petit-Wery, originaire d’Arras, décédé en 1881 à l’âge de 36 ans. Pierre Ketels y participe en offrant une aquarelle, parmi de nombreux autres lots artistiques.

Le 26 Octobre 1881, il participe à la célébration à Roubaix de la nomination d’officier d’académie de son ancien professeur Constantin Mils (qui prit par la suite sa retraite en 1885). Voici un extrait d’un article de V. Duburcq paru dans le journal de Roubaix :
“Plus de deux cents élèves, anciens et nouveaux, de M. Mils ont donné à leur professeur une preuve touchante de leur gratitude et leur respect. À midi, moins un quart, M. Mils accompagné de quelques uns de ses anciens élèves, entre autres MM. Krabansky et Ketels qui étaient allés le prendre à l’académie de peinture, a fait son entrée dans la salle, aux cris plusieurs fois répétés de : Vive M. Mils ! Sur une table, placée au milieu du salon, se trouvait une magnifique garniture de cheminée en vieil argent et bronze montée sur socle en marbre noir. Derrière sur un chevalet, le portrait de M. Mils, entouré d’une guirlande de fleurs (…)”.

Il expose à Paris au salon des Artistes français en mai 1882 (“portrait de Melle M. B.”).

En Août 1882 le conseil général du Nord décide de prolonger sa bourse d’une année. Ce sera sa deuxième et dernière bourse d’étude, l’âge limite pour assister aux cours de peinture des Beaux-Arts étant de 30 ans.

Il ne participe pas au salon de Paris en 1883. Son tableau a-t-il été refusé ? Plus de huit mille oeuvres ont été envoyées, seuls 2500 tableaux peuvent être exposés. Cette année là Édouard Manet, précurseur de la peinture moderne, expose “un bar aux Folies-Bergères” et meurt le matin même de l’ouverture du Salon (son célèbre tableau “le déjeuner sur l’herbe” avait fait scandale au salon des refusés en 1863).

Un bar aux Folies-Bergère – Oeuvre d’Édouard Manet (1832-1883).

Pierre Ketels expose l’année suivante en mai 1884 un “portrait de jeune fille” au Salon de Paris au Palais des Champs-Élysées.
Il participe également au même moment à la première édition du Salon des Indépendants aux côtés de ses membres fondateurs, Georges Seurat (inventeur du pointillisme), Paul Signac, Henri-Edmond Cross…

   

Georges Seurat (1859-1891), Paul Signac (1863-1935), Henri Cross (1856-1910).

Parmi les 900 tableaux exposés, Pierre Ketels en présente 2, voici leur description dans le “Dictionnaire Véron” dans la rubrique “les indépendants” :
“Mme D. est de face, le corps légèrement tournée de côté. Elle se détache sur un fond blanc, dans un relief qui pourrait être plus accentué. Qualités toutefois en ce portrait assez bien jeté.
Un moine vêtu de son froc est à mi-corps et en prières. Il joint les mains avec ferveur et lève les yeux au ciel d’un air suppliant. Bonne étude d’un travail soigné”.

Le président de la République est présent le jour de l’ouverture du Salon des Indépendants le 15 mai 1884.

Jules Grévy (1807–1891)
président de la République française de 1879 à 1887.

Le Salon des Indépendants a été créé par des artistes souhaitant pouvoir exposer librement leurs œuvres, sans jury, ni récompense. Il peut-être considéré comme une émanation du Salon des Refusés auquel avaient pris part les Impressionnistes quelques années auparavant. Il se situe dans le baraquement des tuileries, dépendance du pavillon de Flore, un bâtiment du palais du Louvre qui faisait partie autrefois du palais des Tuileries (détruit en 1871 par un incendie allumé par des communards).

Le pavillon de Flore et le pont Royal.

Le Salon des indépendants a été représentatif de grands courants avant-gardistes de l’époque (pointillisme, nabisme, symbolisme, fauvisme et cubisme). L’article qui suit présente ce nouveau salon, non sans sarcasme, et relève parmi les 475 exposants la participation de Pierre Ketels aux côtés notamment de Henry Cross et Georges Seurat. L’article est signé “Edmond Jacques”, pseudonyme du critique d’art Edmond Bazire (1846-1892), ex-communard, défenseur de Manet, Pissarro et Rodin.

Article paru dans le quotidien socialiste “l’Intransigeant” du 24 Mai 1884.

Voici le célèbre tableau de Georges Seurat (cité dans l’article ci-dessus) refusé au Salon du Palais des Champs-Élysées et exposé au Salon des Indépendants :

“Une baignade à Asnières”, tableau peint par Georges Seurat en 1884.

Dans le “Journal des Artistes” (revue parisienne hebdomadaire des Beaux-Arts), le chroniqueur Jean Le Fustec (1855-1910) mentionne également la participation remarquable de Pierre Ketels au Salon des Indépendants (Jean Le Fustec était journaliste, critique d’art, poète, il sera par la suite désigné grand-druide) :
“L’intérêt que présente la section de peinture à l’Exposition des artistes indépendants est grand. J’ai cité des oeuvres que bien des visiteurs ont été surpris de ne pas trouver au Salon plutôt qu’ici. En somme ces tableaux auront attiré autant de visiteurs, et excité plus d’intérêt que s’ils s’étaient trouvés noyés parmi les 2488 toiles exposées au Palais de l’Industrie. Les Duthoit, les Noro, les Angrand, les Saint-Laurent, les Pressigny, les Ketels, les Ihly ont été côtés à leur juste valeur, car ils ont laissé des souvenirs aux bourgeois surpris de ne pas s’en aller en riant comme ils étaient venus.”
Et voici sa description des 2 oeuvres exposées :
“M. Ketels expose une tête de moine tout à fait ascétique. Son personnage est dans l’attitude de la prière, attitude juste et vraie. L’expression en est belle. Cette oeuvre se remarque et fait revenir les visiteurs. À signaler du même artiste un bon portrait de femme sur fond gris. Le ton est chair et joli, la figure bien modelée.”

En Juin 1884, Pierre Ketels participe à un Salon à Amiens, il y expose un “portrait de jeune fille” (il s’agit vraisemblablement du tableau précédemment exposé au Salon de Paris). Ce tableau est également présenté dans le “Journal des Artistes” (revue parisienne des Beaux-Arts) comme étant “un charmant portrait de jeune fille”.

Extrait du catalogue de la 26ème exposition de la société des amis des Arts du département de la Somme.

En 1885, Pierre Ketels quitte définitivement Paris et son atelier du passage du Champ d’Asile pour revenir s’installer à Roubaix. (Cette année là, Victor Hugo est enterré au Panthéon, les cérémonies seront suivies par des centaines de milliers de personnes).
En Octobre il participe à l’Exposition de Roubaix-Tourcoing, comme on peut le lire dans le Journal de Roubaix : “Nous voici en face d’un concitoyen. Né à Gand, naturalisé français et domicilié à Roubaix, Kétels est un bon élève de Mils et de Cabanel. Il expose deux portraits, dont l’un ne procède en rien de la manière de ces deux professeurs. Nous croyons même ne pas nous tromper en disant que le portrait de M. L. B. a été exécuté d’après un genre de peinture qui n’est pas celui adopté habituellement par M. Kétels, lui-même, qui aurait pu se borner à exposer le portrait de Madame R. de L…”
Sa participation se fait également remarquer dans le “Moniteur des Arts”, hebdomadaire parisien : « Nous y revenons parce qu’en vérité cette exposition le mérite ; en traversant ces salles si bien agencées, nos yeux avaient été frappés par de trop jolies choses, pour que nous négligions de leur consacrer la place qu’elles méritent dans le Moniteur des Arts. Une oeuvre magistrale entre autres a attiré tout spécialement notre attention. Nous n’avons pas l’honneur de connaître M. P. Ketels, mais nous lui déclarons que son portrait de Madame R. de L. est tout simplement merveilleux. Il y a là des chairs parfaites, et un satin jaune qui est trouvé, et tout cela est d’une rare distinction et supérieurement dessiné ».

Le “Moniteur des Arts” du 13 Novembre 1885, extrait concernant l’exposition de Roubaix-Tourcoing.

Il ne participe ni au Salon de Paris de 1885, ni à celui de 1886, par contre il a une élève lilloise qui y expose un portrait. Voici ce que l’on trouve dans “Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1886” : “Bonte (Mlle Célestine), née à Fives-Lille, élève de M. Kétels. À Lille, rue du Faubourg-de-Tournay, 94 – Portrait de Melle A”. Cela semble être son unique participation au Salon de Paris (sauf si elle a changé de nom après un mariage), par contre sa présence est relevée dans plusieurs Expositions de Roubaix-Tourcoing.

Pierre Ketels a enseigné la peinture, information confirmée par une inscription se trouvant à l’arrière de l’un de ses tableaux : “étude – Ketels Pierre – ancien élève des beaux arts – professeur à Roubaix”. Ci-dessous ledit tableau et un détail de l’étiquette détériorée par le temps.

   

Portrait – Étude de Pierre Ketels.

Constantin Joseph Mils (son ancien professeur de peinture à l’école des beaux-Arts de Roubaix) décède le 8 Juin 1886, il est enterré au cimetière de Roubaix. Ses anciens élèves ouvrent alors une souscription destinée à élever un monument sur sa tombe, le médaillon en bronze ornant sa sépulture a été réalisé par le sculpteur valenciennois Gustave Crauk (1827-1905).

  

Constantin Joseph Mils (1817-1886).

Les 20 et 21 mars 1887, les frères Vaissier créent la “cavalcade des princes du congo”, un défilé publicitaire et caritatif impressionnant qui parcourt les rues de Roubaix pour promouvoir leur savonnerie, et notamment “le Savon du Congo”.

Étiquette de savon de “la Savonnerie du Congo” des frères Vaissier.

En mai 1887, Pierre Ketels expose un portrait au salon de Paris (“portrait de M. A. M. “). L’adresse indiquée dans le livret du salon est “route de Waterloo” à Roubaix. Mais il doit plutôt s’agir de la “route de Wattrelos”, l’actuelle “Grand-Rue” qui longe le cimetière de Roubaix, son frère Denis Ketels a également habité dans cette rue.
… Cette année-là débute le chantier de construction de la tour Eiffel pour l’Exposition universelle de Paris de 1889…

Alphonse Colas, son ancien professeur de dessin à l’école des beaux-Arts de Lille, décède le 11 Juillet 1887 à Lille à l’âge de 68 ans.

Alphonse Colas (1818-1887)

En septembre 1887, Pierre Ketels participe à la 6ème Exposition des Beaux-Arts de la société artistique de Roubaix-Tourcoing, l’article qui suit est extrait du journal de Roubaix : “voici de M. Kétels un portrait qui nous plait beaucoup et comme interprétation de la figure et comme habileté de rendu des étoffes”. L’exposition est installée dans l’Hôtel de Ville, 200 artistes y participent, dont Weerts, Cogghe, Krabansky, Jacquet… Célestine Bonte, une élève de Pierre Ketels, est également présente.

À partir du partir du 15 Septembre 1887 parait un nouvel hebdomadaire : “Roubaix-Artiste”. Pierre Ketels est l’un des 3 dessinateurs employés par le périodique, publié durant 2 années.

Bandeau du journal “Roubaix-Artiste”.

La plupart des numéros comportent un portrait illustrant la biographie d’un roubaisien célèbre, celle d’un acteur de passage ou d’un illustre musicien. L’artiste signe parfois ses portraits avec les initiales “P K”.

 

Estampes réalisées par Pierre Ketels en 1889 pour “Roubaix-Artiste”.

Le 1er Septembre 1888, la nouvelle gare de Roubaix est ouverte au public (elle sera heureusement restaurée en

La gare de Roubaix conçue par l’architecte Sidney Dunnett.

La Société Artistique de Roubaix-Tourcoing organise sa 8ème exposition en Septembre 1888. “Il y a de très bonnes toiles signées de noms connus comme ceux de Bellangé, Chatrousse, Weerts, Cogghe, Krabansky, Kétels, etc. , etc. ; des aquarelles et des pastels qui sont réellement admirables”, peut-on lire dans le journal “Roubaix-Artiste” du 22 Septembre 1888.

Le 22 décembre 1888, Pierre Ketels perd sa mère, décédée à Roubaix à l’âge de 65 ans.

Maria-Theresia Franceus (1823-1888), mère de Pierre Ketels.

Le

Portrait d’Alexandre Cabanel réalisé par Pierre Ketels en 1889.

Le 20 Août 1889, Pierre Ketels perd son père (Jean Ketels), décédé à Roubaix à l’âge de 69 ans.

Portrait de Jean Ketels (1819-1889) réalisé par Pierre Ketels (entre 1870 et 1875).

L’École Nationale des Arts Industriels est construite entre 1886 et 1889 par l’architecte nordiste Ferdinand Dutert. Elle se spécialisera par la suite et deviendra l’ENSAIT en 1921. Tandis que l’ESAAT, École supérieure des arts appliqués et du textile, sera construite juste à côté en 1991.

L’École Nationale des Arts Industriels de Roubaix.

En Janvier 1890 paraît “le mariage d’amour”, un roman de Marius de Valfleury, dans lequel figure des illustrations de Pierre Ketels. Marius de Valfleury est également un collaborateur de Roubaix-Artiste.

En mai 1890, Pierre Ketels expose un portrait (“portrait de M. G. V. “) au salon de Paris au Palais de l’industrie (il n’a pas participé aux salons de 1888 et 1889). Ce sera sa dernière participation à ce salon.
Pierre Ketels habite au n°2 rue des fleurs à Roubaix (sa maison n’existe plus, une partie de la rue a été démolie pour laisser place à l’actuel immeuble de la CPAM). C’est dans cette rue que 3 ans après, en 1893, Rémy Cogghe fera construire sa maison par l’architecte roubaisien Paul Destombes, cette rue sera d’ailleurs rebaptisée “rue Rémy Cogghe” à la mort de l’artiste en 1935.

   

Autoportrait de Rémy Cogghe (en 1913) et sa maison “rue des fleurs” à Roubaix.

Tout comme Pierre Ketels, Rémy Cogghe est d’origine belge (sa famille arrive à Roubaix durant la même période), il est également fils d’ouvrier du textile, il a reçu en partie le même enseignement (élève de Mils et Letombe à Roubaix, et Cabanel à Paris) et a exposé dans les mêmes salons, ils se sont donc côtoyés de nombreuses fois.

Pierre Ketels se marie le 1er Octobre 1890 à l’âge de 37 ans avec Philomène Donckele, 45 ans, cabaretière, née le 8 février 1845 à Dottignies (Belgique), veuve d’Henri Joseph Petit (né le 10 Juin 1849 à Wauthier-Braine). Pierre Ketels devient donc le beau-père du fils de Philomène, Alexandre Petit, âgé de 27 ans (il est né le 12 Juillet 1863 à Mouscron de père inconnu, reconnu à l’âge de 10 ans en 1873 lors du premier mariage de sa mère).

Extrait de l’acte de mariage de Pierre Ketels avec Philomène Donckele.

Jean-Joseph Weerts fonde en 1890 l’union artistique et littéraire de Roubaix-Tourcoing. Pierre Ketels en fait partie, tout comme Rémy Cogghe, Krabansky, Jacquet, De Winter… Ces artistes réalisent des portraits ou des oeuvres en guise de lots pour les tombolas qui sont organisées régulièrement. Des oeuvres sont également offertes par des généreux donateurs, comme Victor Vaissier.

Extrait d’un article paru dans « Le Journal de Roubaix » en Février 1891.

Pierre Ketels expose 2 portraits à l’occasion de la 12ème exposition de la Société Artistique à Tourcoing en Octobre 1891, aux côtés toujours des mêmes protagonistes, Rémy Cogghe, Gustave Krabansky, Henry Léon Jacquet… Voici une description parue dans le journal de Roubaix  : “nous remarquons de M. Pierre Ketels deux portraits d’une facture très simple, mais fort ressemblants, dans une attitude naturelle et correctement dessinés”.

Le 3 février 1892, Pierre Ketels assiste au mariage de son beau-fils, Alexandre Petit (cafetier), avec Jeanne Dujardin (piqûrière), à Roubaix.

Extrait de l’acte de mariage d’Alexandre Petit avec Jeanne Dujardin.

Le 23 Juillet 1892, il assiste (avec J.J. Weerts et G. Krabansky) aux funérailles de Alexandre Vinchon et de son fils Ernest Vinchon. Alexandre Vinchon était directeur de filature, membre du Conseil supérieur de l’école nationale des Arts industriels, vice-président de la chambre de commerce de Roubaix, premier adjoint au maire, etc… Amateur d’art, mécène, il avait fait des dons au musée artistique de Roubaix (notamment des tableaux de Gustave Krabansky).

En Octobre 1892, Pierre Ketels participe à la 14ème exposition des Beaux-Arts de la société artistique de Roubaix-Tourcoing, il expose un portrait (“portrait de la famille A. L.”).

En 1892 s’achève la construction du château de Victor Vaissier, un palais somptueux de style indien et mauresque conçu par l’architecte Édouard Dupire-Rozan (1842-1901).

Le Château Vaissier, construit au milieu d’un immense parc.

Pierre Ketels se spécialise également dans la décoration. Il réalise des fresques, comme le projet ci-dessous.

Étude sur papier calque, projet de fresque pour plafond, sur le thème de “l’Aurore”.

Pierre Ketels a probablement exécuté des commandes privées pour des hôtels particuliers, des grandes propriétés, des riches industriels, des familles bourgeoises, mais pas de commandes publiques connues.

Projet de décoration murale dans le style mauresque – Aquarelle de Pierre Ketels.

Le dessin ci-dessus était conservé dans un catalogue appartenant à Constant Helynck (1862-1941), le beau-frère de l’artiste. Ce projet de décoration est de style oriental, une tendance exotique en vogue au 19ème siècle.

Pierre Ketels semble être moins présent dans les salons, son nom se fait rare dans les articles de journaux, mais continue-t-il toujours à enseigner la peinture ? Les informations sur ses activités artistiques durant les 20 dernières années de sa vie sont clairsemées.

Ci-dessus “Portrait de Joan” peint en 1895 par Pierre Ketels.

En 1895, Pierre Ketels habite au 19 rue Montgolfier à Roubaix.
Il se rend plusieurs fois aux Pays-Bas, à Hilversum en 1895 et Amsterdam en 1896. Fait-il ces déplacements pour un projet de décoration ? Depuis 1874, Hilversum est reliée à Amsterdam par une ligne de chemin de fer, ce qui a ouvert la possibilité aux habitants aisés d’Amsterdam de s’y établir et d’y construire de grandes villas (mais après 1945, de nombreuses villas ont été démolies et les parcelles scindées, ce qui diminue les chances de retrouver d’éventuelles fresques).

Lettre de Pierre Ketels adressée à sa femme Philomène en 1895.

Celer Letombe, ancien professeur de dessin de Pierre Ketels, décède le 8 Janvier 1896 à l’âge de 76 ans à Lille.

En Janvier 1899, Pierre Ketels participe au “Salon Roubaisien”, organisé par l’Union artistique, rue de l’Alouette à Roubaix (aux côtés de Krabansky, Cogghe, Weerts, De Winter, Meurisse-Franchomme, Jacquet… ) . Un article, signé Oscar Thieffry, artiste et critique d’art lillois, paraît dans “La Revue septentrionale – organe des Rosati et des sociétés savantes, artistiques et littéraires du Nord de la France” : “Le Portrait, de M. Kétels, offre une robe et des dentelles magnifiquement traitées”. Il s’agit de sa dernière participation connue à une exposition.

En 1899, Pierre Ketels réalise les portraits de sa soeur Rose Ketels et de son beau-frère Constant Helynck.

   

Constant Helynck (1862-1941)
et sa femme Rose Ketels (1855-1941), la soeur du peintre.
Portraits réalisés en 1899.

En Septembre 1902, le peintre Gustave Krabansky meurt à Paris à l’âge de 50 ans, il est enterré à Roubaix.

Gustave Krabansky (1852-1902)

Tout comme Rémy Cogghe, Pierre Ketels et Gustave Krabansky se sont côtoyés durant une partie de leur carrière, je ne sais pas si ils étaient amis, mais ils ont eu le même parcours simultanément. Tous deux élèves de Cabanel à Paris, Mils à Roubaix et Colas à Lille, ils ont souvent exposé dans les mêmes Salons, que ce soit à Paris ou dans le Nord de la France. Les funérailles sont sobres, sans discours, malgré une nombreuse assistance. La cérémonie s’est déroulée en l’église Notre-Dame à Roubaix (cette ancienne église catholique est aujourd’hui dans un état alarmant faute de restauration).

L’église Notre-Dame à Roubaix.

Le 31 mai 1903 a lieu la “Grande Cavalcade roubaisienne”, grand cortège publicitaire organisé par Eugène Motte, industriel et maire de Roubaix, sur le modèle des cavalcades de 1887 des frères Vaissier. Cette manifestation commerciale a en partie financé la construction de l’hôpital “La Fraternité” à Roubaix.

Selon le recensement de la population de Roubaix en 1906, Pierre Ketels est domicilié au 241, rue Pierre-de-Roubaix.

Extrait du recensement de la population de Roubaix en 1906 (Archives départementales du Nord).

Voici l’une des rares photos de Pierre Ketels (à gauche), accompagné de sa femme. La photo a été prise en 1907, il a 54 ans.

À gauche : Pierre Ketels et sa femme Philomène Donckele, au milieu : mon arrière-arrière-grand-père Denis Ketels (le frère de l’artiste) et sa femme Catherine Friess, à droite Rose Ketels (la soeur de l’artiste) et son mari Constant Helynck.

L’ancien Hôtel de Ville de Roubaix, qui datait de 1845, est détruit et remplacé par un nouveau bâtiment. On peut le voir, inachevé, à droite sur la photo ci-dessous :

Le nouvel Hôtel de Ville de Roubaix, vers 1910.

Conçu par l’architecte Victor Laloux (également auteur de la gare d’Orsay), il est inauguré le 30 avril 1911 par le ministre du commerce Alfred Massé et le maire de Roubaix, Eugène Motte (1860-1932).

L’Hôtel de Ville de Roubaix en 1911.

L’Exposition Internationale du Nord de la France, installée dans le Parc Barbieux, est inaugurée le même jour.

Exposition Internationale du Nord de la France – Roubaix 1911.

Roubaix est devenu un géant industriel, l’essor de son activité s’est accompagné de l’accroissement de sa population : selon les dénombrements officiels, Roubaix en 1911, c’est 122 723 habitants, contre 49 274 en 1861. Depuis l’arrivée de Pierre Ketels à Roubaix un demi-siècle plus tôt, la population de Roubaix a donc été multipliée par 2,5.

Pierre Ketels s’éteint le 1er Novembre 1912 à Roubaix à l’âge de 59 ans.

Extrait de l’acte de décès de Pierre Ketels en 1912.

Voici l’article paru dans le Journal de Roubaix le 3 Novembre 1912 :
Mort d’un artiste peintre
“Nous apprenons avec regret la mort, à l’âge de 59 ans, après une maladie de plusieurs mois, de M. Pierre Ketels, artiste peintre, décédé en son domicile, rue Pierre de Roubaix, 241.
Originaire de Gand, M. Ketels vint se fixer à Roubaix tout jeune encore et se fit naturaliser Français. Il suivit pendant quelques années les cours de l’École des Beaux-Arts de notre ville (Roubaix), puis ceux de l’École de Lille. À cette dernière École il remporta deux années consécutives la médaille d’argent. Titulaire d’une bourse départementale, il se rendit à Paris où il suivit les cours de l’Académie des Beaux-Arts. Il fut l’élève de Cabanel et obtint, en 1876, une médaille d’or.
M. Pierre Ketels revint à Roubaix il y a un quart de siècle. Il s’était spécialisé dans les portraits, dont plusieurs ont été exposés et fort admirés dans des expositions locales et régionales.
Les funérailles de M. Pierre Ketels auront lieu lundi matin, à dix heures, en l’église réformée de la rue des Arts. “

Un article similaire est paru dans le journal “l’Avenir de Roubaix Tourcoing” du 4 Novembre 1912, mais précise toutefois qu’à son retour à Roubaix Pierre Ketels s’est spécialisé dans les portraits “et la décoration”.

Le temple de Roubaix, rue des Arts, où ont eu lieu les funérailles du peintre.

Pierre Ketels était l’oncle de mon arrière-grand-père Charles Ketels (1882-1947). Ce dernier avait 30 ans à la mort de l’artiste et a hérité de très nombreux tableaux, ainsi que ses 5 frères et soeurs (Pierre, Estelle, Rose, Paul et Louise). Je n’ai pas encore retrouvé la trace de la totalité de ces tableaux, éparpillés parmi la multitude de descendants, tandis que d’autres sont disséminés chez des antiquaires ou des particuliers.
Aujourd’hui totalement inconnu et absent des musées, Pierre Ketels n’a pas encore dévoilé tous ses mystères. La majeure partie de son œuvre reste à découvrir, et recèle encore bien des surprises…

Violette Ketels

 

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